Rire avec Elles, L’humour au féminin(5/2): Sony Chan, la princesse sans royaume a conquis celui de l’humour.


 Sony Chan, poupée de Chine, poupée de Chan, poupée de charme…C’est ainsi qu’elle m’est apparue sur la scène du Ranelagh, vendredi 23 mars, juste avant Amandine Gay et Béatrice Facquer. On ne peut pas faire plus différent en terme de proposition humoristique ! Amandine Gay, du haut de ses 21 ans, questionne son époque et sa génération, Béatrice Facquer dévisse les personnages montés de travers comme un meuble Ikéa dont on a mal lu la notice, Les news du Blogfemmequirit 2, Princesse sans royaume (titre de son show) est dans la transgression et le décalage permanent. Décalage entre ce que l’on voit et ce qu’elle est, ce qu’elle dit et ce qu’elle fait, ce qu’elle refuse et ce qu’elle accepte…voire recommande.

Sony Chan ou l'art de tomber le masque

Vous savez comme j’aime donner des surnoms. La Bajon est la drôle de fille avec des bretelles, Nadia Roz est une espèce chromatique protégée, Anne Roumanoff est Anne ROUGEmanoff , Les news du Blogfemmequirit 2 sera poupée de Chine poupée de Charme. En réalité, cette artiste vient de Hong Kong mais entraînez-vous à dire poupée de Hong Kong, ça sonne moins bien.  J’aurais également pu l’appeler Poupée de Chine, poupée de song, puisque Sony chante et a enregistré un album. Quant au charme, c’est son premier atout avec la délicatesse. 

Sony Chan arrive sur scène parée de tenues dont elle seule à le secret. On a l’impression qu’elle se rend à un défilé où elle sera, à n’en pas douter, invitée à s’asseoir on the front row. Au Paname, où je l’ai vue le mardi 13 mars, elle étrennait une jolie robe en laine et soie noire à petites fleurs qui ressemblait à du Miu Miu et qui n’était pas une Miu Miu. C’est d’ailleurs toujours très amusant de l’entendre demander au public d’en estimer le prix. On l’imagine dans une pièce de collection inabordable et Poupée de Chan vous avoue, en coulisses, que c’est de la fast-fashion. Sur scène, le discours diffère: “Comment puis-je vous  initier à la mode quand vous êtes toutes corrompues par H&M?”

Sur les planches du Ranelagh, elle portait un corsage rose en soie moirée avec un gros nœud à la gorge, une jupe longue assortie et, superposé, un pan de tissu qui donnait un peu plus de volume à sa frêle silhouette. Ça sentait la haute couture, le truc au moins fait sur mesure par un copain styliste pas forcément connu, mais de la belle ouvrage. Eh non, Sony Chan avait dégoté ce trois pièces dans une friperie où l’on n’imagine pas qu’elle puisse mettre les pieds, le tout à un prix dérisoire ! C’est ça le vrai snobisme.

Sony Chan est la parfaite expression sur scène de ce qu’on appelle «décalage», un mot très-trop souvent utilisé à mauvais escient. Déjà, quand elle s’installe près de son pianiste, on s’attend à un récital pas nécessairement à un sketch. D’où l’attention étonnée que lui a manifestée le public du Ranelagh qui avait vu défiler depuis cinq jours, d’autres genres que celui-là. La poupée surgit là où on ne l’attend pas et peut dire des choses insensées avec l’air de ne pas y toucher. Des choses crues même, mais proposées avec tellement de subtilité. Si je vous dis qu’après avoir chanté en chinois un hommage à la Tour Eiffel, elle parle d’éjaculation faciale…vous ne me croirez pas. D’ailleurs, le public n’en croit pas ses yeux..oups, pardon, ses oreilles ! Sony Chan ne bigardise pas cette erreur de trajet séminal mais l’amène de telle façon qu’elle laisse perplexe certains spectateurs. Mes deux voisines au Paname n’avaient pas saisi l’allusion, au grand dam de leurs petits copains hilares, et se sont demandé pourquoi je riais. Idem au Ranelagh. Il faut dire que Sony Chan a une façon très singulière de vous envoyer certaines choses à la figure. Tout en délicatesse, en fragilité feinte en grossièreté économisée et ça fait toute la différence. Même Samantha Jones de Sex and the City ne nous l’aurait pas servi comme ça.

C’est tout ce que j’aime. L’autre jour j’ai vu une humoriste sympa, la quadra faussement-bien dans ses Converse qui déclamait 5 fois dans son show les mots «meufs, pine, baise », croyant faire djeun’s et subversif. Ça m’a désespérée parce qu’elle n’avait pas compris que ce qui compte c’est l’intention qui se tapit derrière un mot et pas le mot lui-même, souvent vide. Aux antipodes de cela, Sony Chan ne raconte que des trucs énormes qu’elle enveloppe soigneusement dans du papier de soie entouré d’un joli petit ruban plus spaghetti que tagliatelle.

Sony Chan, poupée de Chine, poupée de charme est donc sur scène accompagnée de son pianiste Charles Crépin-Lara. Elle entonne son hymne à la Tour Eiffel en cantonais, tout à coup s’interrompt, demande à son pianiste d’arrêter et s’adresse au public : «Excusez-moi, j’ai quelque chose dans l’œil, je ne peux pas continuer». Comme elle a une allure très diva-glam, qu’on pense assister à un récital auquel la présence du piano à queue confère encore plus de solennité, on attend, compatissant, en espérant que l’incident ne s’éternise pas. Et là, Poupée de Chine Poupée de charme révèle : «J’ai quelque chose dans l’œil. Hier soir, mon fiancé ne savait pas où mettre son amour». Bravo ! Voilà comment elle arrive à dire un truc insensé sans recourir à des mots chargés de sens et de sexe. Et tout le reste est à l’avenant. Un langage en demi-teinte et très codifié finalement, nourri des névroses et obsessions des gens les plus cultivés du milieu de la mode dont elle connaît les arcanes. On dit les choses sans les dire, on rivalise de subtilité et l’on sort parfois une énormité qui nous rongeait à force d’être étouffée.

Si Paris Hilton avait eu quelque talent et moins d’argent, c’est dans ce registre-là qu’elle aurait tenté de performer. Si Vincent Mc Doom avait eu des auteurs et plus d’argent, il aurait pu prétendre incarner ce personnage délicieusement snob et plein d’autodérision, malin, vénal qui s’en félicite avec tellement de franchise que ça ne passe jamais pour une fausse note. Car en amont de ces textes provoc’, il faut installer un  vrai personnage, une vraie personnalité, quelqu’un d’Autre que ce que proposent les tremplins en ce moment.

On adore entendre Sony Chan dire sans ciller : «Je conçois votre étonnement de voir une humoriste jeune et belle sur cette scène dédiée à l’humour au féminin, puisque c’est une discipline généralement réservée aux artistes moches. Pour ma part, avec le physique et le charisme que j’ai, je ne devrais pas avoir à passer par l’humour pour réussir”. Alors oui, on n’est pas dans le rire à gorge déployée. C’est un rire qui se suffit à lui-même et ne déborde pas forcément sur le fauteuil du voisin au point de le contaminer et l’encourager à vous rejoindre, mais c’est déjà et toujours du rire. Et c’est surtout une écriture.

Si Sony Chan intrigue certains hommes, elle conquiert d’emblée les femmes par son côté 4 en 1. A elle seule elle réunit les quatre héroïnes de Sex and the City. Elle a la silhouette de Carrie Bradshaw et son goût immodéré pour la sape, l’audace de langage de Samantha Jones, le côté pragmatique de Charlotte York, la lucidité et le sens du business de  Miranda Hobbes. On ne s’étonnera donc pas de l’entendre prodiguer des conseils à l’attention des femmes pour garder un homme (intéressez-vous à ses chemises et ses chaussettes !), récupérer un homme infidèle ou le faire payer au sens littéral ses égarements. Le barême qu’elle a établi pour punir l’égaré réjouira à n’en pas douter les amateurs de Louboutin.

Mais si le texte de Sony Chan, la Chinoise  se cantonait à ces petites provocations légères et inoffensives, il n’y aurait pas matière à applaudissement ni étonnement. Cette humoriste parvient à nous faire entrer dans son histoire personnelle et quasi intime sans s’éloigner du propos de départ, son vœu d’accéder à la starisation, ce territoire où l’on n’avance vraiment que masqué. Sony Chan ne cesse de faire tomber les siens comme autant de pelures d’oignon pour arriver à une vérité ultime : “L’importance n’est pas la différence qu’on incarne mais les choix qu’on assume”.

Un humour à ne pas glisser dans toutes les oreilles

Celle qui dit «exercer la profession de star depuis l’âge de 5 ans» reconnaît «devoir, à chaque casting, faire face à un obstacle insurmontable : le manque de vagin». En entendant cela, on imagine déjà la mine de celles qui s’en sont servi comme d’un tremplin pour trôner en haut de l’affiche. Et celles qui regrettent de ne pas l’avoir autant prêté qu’elles auraient pu ou dû. Sony Chan ne juge pas, elle ne fait que perpétuer cette idée selon laquelle certaines échelles ne se gravissent qu’en se rabaissant. Cette allusion n’est pas gratuite, elle est le prétexte nécessaire pour questionner son genre.  Sony Chan a quitté le rayon du rire léger pour interroger le public sur le pouvoir que confèrent chaque genre et chaque identité sexuelle. Et pour montrer combien elle est à l’aise avec cela, elle lance encore : “grâce au Ranelagh, nous avons droit à un échantillon d’artistes aussi différents que curieux”.  Sony Chan interroge son propre corps («Si je me positionne dans l’ambiguïté, comment mes fans peuvent-ils se masturber devant mes affiches ?») et pour désaffecter le sujet, elle interroge également celui de la figure Hello Kitty, “Ce chat sans bouche (qui) a conquis toutes les générations : du jeune ado au potentiel homosexuel à la bourgeoise de 49 ans qui n’assume pas ses rides”. Masculin, féminin ? Les deux à la fois ? Ni l’un ni l’autre ? Cela donne lieu à une savoureuse interview de cette icône japonaise.

Le ton est donné : par un savant mouvement pendulatoire on sera toujours avec Sony Chan bercé entre son identité d’origine et sa réalité d’aujourd’hui. Pleine d’autodérision, elle sait raconter comment Delarue ou Evelyne Thomas “deux figures intellectuelles françaises” l’ont invitée dans leurs émissions pour parler de son métier de chanteuse…et ne l’interroger que sur sa “façon de pisser ou de baiser”. Pas dupe, Sony Chan sait parfaitement à quel cirque elle va être invitée et exposée et s’en amuse.

Et quand elle quitte ce territoire de l’identité, c’est pour investir celui plus léger des conseils aux filles(Le courrier de mes copines, les recommandations de sa grand-mère, comment prendre le métro avec panache ?), livrer des astuces pour rentabiliser l’attente dans la queue de Pôle Emploi, s’engager dans l’humanitaire… Avec elle, vous ne tiendrez plus jamais la barre dans le métro de la même façon et surtout vous apprendrez à mesurer l’amour de votre compagnon. Ah oui, c’est l’un des passages que je ne me lasse pas d’entendre. Sony Chan nous enseigne qu’il ne faut jamais évaluer l’amour d’un homme à l’aune du prix des cadeaux qu’il nous offre mais à celle d’un pourcentage de son salaire. Ainsi “un milliardaire qui vous offre un cadeau à 3000 euros, c’est nul! Alors que si c’est un Smicard…Pour moi, l’amour se situe entre 30 et 40% de ses revenus mensuels. Au-dessous, c’est de l’amitié, au-dessus, de la folie!”.
C’est drôle, enlevé, toujours surprenant et furieusement bien écrit. Comble du chic, Sony Chan clot son spectacle en choisissant un spectateur dont elle fait le sketch en à peine deux minutes. Sketch en anglais signifiant dessin, croquis. Sony Chan, qui parle parfaitement cette langue, ne peut pas ne pas y avoir pensé. Sortir d’un sketch par un sketch, c’est intelligent, subtil…on vous l’a dit plein de charme et décalé !

Sony Chan livre une chronique quotidienne sur l’antenne de Ouï FM à 12h50 : La Saga de Miss Hong Kong. Elle joue et chante le mardi à 20h au Paname : 14, rue de La Fontaine au Roi, 75011 Paris. Tél: 01-77-15-96-81 et 06-60-92-77-27

Retrouvez toutes les infos sur Sony Chan : Les news du Blogfemmequirit 2

et ses titres sur www.myspace.com/sonychan2007

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