Réda Seddiki, auteur et comédien de 23 ans, joue Lettre à France tous les vendredis à 20h15 à La Cible. Gérard Sibelle est le dénicheur de talents qui a révélé Foresti, Gerra, Buffet… et couve aujourd’hui Léa
Lando et Myriam Baroukh. Je les ai croisés, un soir, dans un café à Pigalle …Là, vous vous dites : “Mais que fait un homme sur un blog dédié aux talents de l’humour au féminin?“. J’ai déjà répondu que je n’en citais que quelques uns, ceux auxquels je crois et qui sont les meilleurs. Réda Seddiki en fait partie.
J’avais assisté, ce soir-là, à la première de 36 nulles de salon, donnée par Jacques Bonnaffé et Olivier Saladin au Théâtre du Rond-Point. Un spectacle que j’ai beaucoup aimé et qui constitue une sorte de récréation, au sens littéral, entre les spectacles de one-man-show et de stand-up que je vois en grand nombre (trop, parfois ?). Une correspondance et quelques stations de métro plus tard et plus loin, je me retrouvais à Pigalle avec deux amis. On a croisé Réda Seddiki et Gérard Sibelle dans un café, penchés au-dessus d’une lettre….
Sans doute cette Lettre à France qu’a écrite Réda Seddiki comme une déclaration d’amour à ce pays intimement lié à l’Algérie, sa terre d’origine. Lettre d’amour, d’aveu et d’appel d’un jeune auteur doué et prometteur qui s’est armé d’un projet ambitieux pour monter sur scène. A 23 ans, on aurait pu attendre de Réda Seddiki quelques bonnes vannes sur le métro, Internet, la drague … et autres thèmes porteurs, chers à sa génération, mais hélas rebattus. Non, Réda s’est tourné ailleurs…
C’est pour cela qu’il a séduit Gérard Sibelle, le Truffier en Habit Rouge (truffier, c’est son métier, Habit Rouge, son parfum) toujours plus scotché par les mots eux-mêmes et ce qu’ils traduisent qu’aux bons mots qui souvent ne disent rien de vraiment bon. Ce matheux de Réda (ah, il m’a expliqué plusieurs fois le Master dont il est titulaire et je n’ai rien retenu ni noté, ce qui est pire!), fils d’un professeur a préféré se pencher sur l’histoire de son pays et la relation passionnelle qu’il a entretenue et continue d’entretenir avec la France plutôt que de miser sur des thématiques évidentes. Beaucoup de poésie, d’imagination mais aussi d’émotion et de réflexion dans l’écriture de Réda Seddiki riche et inspirée sans être prétentieuse.
On n’en espérait pas moins de celui qui s’est davantage nourri des spectacles de Fellag que d’humoristes qui déroulent de la blague au kilomètre. J’ai aimé que si jeune, cet auteur et comédien ait un vrai projet théâtral, que son ambition ne soit pas de se montrer et de séduire uniquement mais d’abord de raconter, de
se raconter et d’amener sur scène une partie de lui inédite chez quelqu’un de cet âge : l’histoire, la mémoire, l’héritage et ce qu’on en fait. Comment ces choses-là vous travaillent au cœur et au corps et comment on les transforme pour dépasser ce qui, sans ces effort et exercice, se transforme en poids, entrave et génère regrets ou aigreur. Combien d’humoristes évoquent la question des pensions des combattants de la Seconde Guerre Mondiale, Tirailleurs Sénégalais (qui n’avaient de Sénégalais que le nom, pour la plupart ) Goumiers et autres Indigènes ? Si Jamel Debbouze s’est intelligemment servi de la promo du film Indigènes pour rappeler cette question à la mémoire de Jacques Chirac, peu d’artistes l’évoquent sur scène ou hors la scène. J’aime les comédiens qui interrogent leur époque à travers leur nombril moins l’inverse. Voilà ce qui me rend attentive au travail de Réda Seddiki. En 1977, Polnareff, alors “exilé”, chantait sa “Lettre à France”, empreinte de nostalgie. Réda Seddiki, un pied sur le continent européen, l’autre sur le continent africain, célèbre, lui, ce qui est aux antipodes de la nostalgie : une sorte de mémoire de l’avenir pleine d’espoir et d’enthousiasme.
LETTRE À FRANCE de Réda Seddiki tous les vendredis à 20h15 au Théâtre La Cible : 62 bis, rue Pigalle 75009 Paris. Tél : 09 81 39 30 25.