Yue Minjun, L’ombre du fou rire à La Fondation Cartier du 14 novembre au 17 mars 2013.

Yue Minjun, artiste chinois expose ses toiles et dessins à partir du 14 novembre à la Fondation Cartier. Il voit notre monde coulé dans un rire éclatant, inquiétant et féroce. De l’art de rire de ce qui devient risible à force de ne pas l’être ?

Sans titre, 1994.© Fondation Cartier pour L’art contemporain

Il y a quelques semaines, un ami m’a fait part de l’impatience avec laquelle il attendait L’Homme qui rit, le nouveau film de Jean-Pierre Améris d’après le roman de Victor Hugo qui sera sur les écrans le 26 décembre prochain. Améris a réuni pour ce film (dont une première adaptation a été proposée en 1928 sous l’œil de Paul Léni), Marc-André Grondin (C.R.A.Z.Y, Le premier jour du reste de ta vie), Christa Théret (L.OL., La Brindille) et Gérard Depardieu et j’avoue que l’affiche me séduit autant que le thème. J’irai donc voir cette nouvelle version de l’histoire de Gwynplaine, le héros d’Hugo, mais aujourd’hui c’est le rire d’un autre homme qui m’interpelle. Celui des œuvres de Yue Minjun, star de la peinture chinoise contemporaine dont la Fondation Cartier pour l’Art contemporain présente pour la première fois le travail.

Des hommes qui rient, il y en a dans toutes les toiles, les dessins et les sculptures de Yue Minjun qui en a fait son objet principal d’étude depuis vingt ans déjà. Un rire tout aussi figé et spectaculaire que celui de Gwynplaine mais porteur d’une autre intensité dramatique. Gwynplaine suscitait le rire malgré lui et le sien regardait le monde en le mettant au défi d’accoucher d’une autre humanité. Objet du rire d’hommes et de femmes corrompus par la misère, la bêtise ou l’ennui qui trouvent dans cette libération une échappatoire à la réflexion. En riant, le public de Gwynplaine s’abîmait au double sens du terme.

I am Dragon. © Fondation Cartier

En quelque 40 tableaux et 100 dessins, Yue Minjun– qui viendra en personne à la Fondation le 14 novembre- expose le rire éclatant d’un seul et même homme dont il décline le visage au gré des situations. Seul ou en groupe, yeux mi-clos ou carrément fermés, tous les hommes de Yue Minjun (se) rient d’eux-mêmes et de ce monde si peu risible dans lequel ils vivent. Acteur de son rire et non plus objet, l’homme qui rit de Yue Minjun déploie un rire de défi et de résistance qu’il oppose  à un monde dont la dureté et la violence le désolent mais face auquel il ne s’estime pas vaincu. “C’est pour cela que le fait de sourire, de rire pour cacher son impuissance a une grande importance pour ma génération” explique Yue Minjun dans sa biographie (Editions Hanart TZ Gallery).
Dans la toile intitulée Bystander, un homme rit alors qu’il se noie sous le regard des passagers d’un bateau qui le prennent en photo. Dans The Execution, l’une de mes préférées, quatre hommes en slip rient sous la mitraille.

The Execution © Fondation Cartier pour L’art contemporain

C’est une toile puissante. Pas d’armes pas de risque d’éclaboussures sur les murs couleur rouge sang qui ressemblent à ceux de la Cité Interdite, mais des sourires qui suscitent un profond trouble. J’ai essayé d’être légère en imaginant qu’avec The Execution Yue Minjun pratiquait une sorte de “Air execution” comme d’autres jouent à se défier au “Air guitar”. Difficile car on ne peut s’empêcher de penser à la répression du mouvement démocratique de  la place Tienamen en 1989. Yue Minjun lui, préfère évoquer le tableau original d’Edouard Manet, L’Exécution de l’Empereur Maximilien de Mexico (1868, lui-même inspiré de Tres de Mayo de Goya) dont il s’est inspiré plutôt qu’une référence politique contemporaine. Politique ou non, ce tableau s’est vendu en 2007 chez Sotheby’s contre la coquette somme de 4, 1 millions d’euros.

Yue Minjun © Fondation Cartier pour L’art contemporain

Ancien élève de  l’Ecole normale de la province de Hebe, Yue Minjun, cinquante ans, est considéré comme l’un des principaux acteurs du “réalisme cynique”. Opposé au “réalisme socialiste”, ce courant est l’expression du désenchantement des artistes après l’ouverture de l’économie chinoise au marché mondial. Passionné de cinéma, Minjun avait achevé ses études par un mémoire sur “Le gros plan cinématographique dans la peinture” avant de rejoindre la communauté d’artistes du village Yuanmingyuan, près de Pékin au début des années 90.  Révélé au public européen en1999 lors de la 48ème biennale de Venise, Yue Minjun, qui réside à Pékin,  est l’un des peintres les plus influents de sa génération. S’il peint des sourires et des rires éclatants, le sien reste la plupart du temps en berne au grand

Yue Minjun

étonnement des journalistes auxquels il répond très simplement ceci : “En société, répondre par quelque chose qui s’apparente au rire sert en règle générale à exprimer le bonheur. On me dit toujours : ” Tu devrais sourire car c’est là l’expression du bonheur”.C’est vrai. Hier à la télévision, on a rediffusé les Jeux Olympiques de Pékin de 2008. Lors de la cérémonie d’ouverture étaient apparus des dizaines de milliers de visages souriants. C’est pourquoi le sourire peut devenir une cérémonie, une cérémonie en réponse aux autres.Vous riez, je ris à mon tour, mais nous ne rions pas vraiment de la même façon. Face à certaines personnes, ça ne sert à rien de lancer des regards de haine, il suffit d’avoir recours au rire. En fait, j’éprouve parfois une sorte de perplexité : je me demande si ma façon de peindre ne risque pas d’être trop facilement interprétée comme une critique sociale, ni d’être trop facilement simplifiée. Car cela ne correspondrait pas exactement à ce que je veux exprimer“*  Une explication pleine de diplomatie qui pour le coup prête à (sou)rire.
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Yue Minjun, L’ombre du fou rire : du 14 novembre au 17 mars 2013 à La Fondation Cartier :  261, boulevard Raspail, 75014 Paris. Tél : 01 42 18 56 50

Tous les jours, sauf le lundi, de 11h à 20h. Nocturne le mardi jusqu´à 22h.Tarifs: 9,50 euros. Tarif réduit : 6,50 euros (étudiants, moins de 25 ans, carte Senior, Amis des Musées, demandeurs d´emploi)

*Extrait d’une interview de Shen Zhong réalisée à Pékin en juillet 2012 et présente dans le catalogue bilingue français/anglais de l’expo Yue Minjun, 276 pages, 130 reproductions couleur et noir et blanc. Textes de Ouyang Jianghe et François Jullien. Prix : 37 €. Diffusion : Actes Sud


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