La Bajon : la drôle de fille avec des bretelles

La Bajon est gouailleuse. Séduisante sans jouer les séductrices. Sa force vient d’ailleurs, de ses mots, de son énergie, de son charisme et de son histoire. D’une drôle d’histoire au départ qu’elle transforme en histoires drôles parfois émouvantes. En la voyant sur scène, son père lui a dit qu’elle avait de belles dents. La Bajon a surtout du mordant et cette drôle de fille avec des bretelles est terriblement vivante.

La Bajon l’humoriste qui ne rit jamais sans ses bretelles

Samedi 25 février 19h03, Théâtre La Cible. Trente-et-une personnes assises depuis quelques minutes attendent de voir débouler La Bajon sur la scène circulaire qui donne son nom au lieu. Surgira-t-elle après l’annonce d’un technicien lui rappelant son retard ou simplement sur un air à la mode comme on le voit (très/trop) souvent ailleurs ? On attend cela et on n’a rien de tout cela. Ouf ! Car en réalité, c’est La Bajon qui attend le public dans une posture et un endroit quasi invisible sur cette scène où traîne un joyeux bordel. Un sac 48 heures, une planche à repasser sans pied, un paquet de Knaki Herta, du Fanta orange, un pantalon à bretelles suspendu à un cintre, un édredon, des vêtements, une paire de boots…sa vie, quoi. Ou du moins celle, ramassée, qu’elle nous donne à voir.

La Bajon est là, quelque part endormie. Il faudra la sonnerie d’un réveil pour que je réalise, comme une bonne partie du public, qu’elle somnolait sous nos yeux dans son pyjama à bretelles (hommage à Charlie Chaplin). La belle au théâtre dormant a toutes les raisons d’être épuisée dans la vie. Avant d’entamer ce show d’une heure dans le quartier de Pigalle, elle a présenté des extraits de Ça va piquer au Point Virgule, dans Le Marais. Cette jolie brunette de 33 ans court après le temps, après ses envies (devenir une humoriste qui compte comme Foresti, Jamel, Palmade, Gad Elmaleh, Dieudonné), ses rêves de gloire (faire L’Olympia comme Tati) mais pas après le talent, qui la tutoie déjà et la place parmi les filles les plus intéressantes du moment.

Dès le premier sketch sur le chômage – une situation qu’elle connaît bien- ça pique ! Elle a un ton, une tonalité même. De sa voix de râleuse à qui on ne la fait pas, elle impose un style. On n’est jamais entre deux eaux lorsque La Bajon plonge dans la journée d’une pôleuse (Ndlr : surnom que se donnent les personnes inscrites au Pôle Emploi), son ennui, ses copines over-bookées, ses siestes, les jobs qu’on lui propose et qu’elle conseille de refiler à des “Arabes en bas de la rue!”. On en rit et en même temps,ça grince. Dans tous les cas, ça déride.

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D’emblée, on sait que La Bajon ne va pas nous ennuyer avec des histoires sur les relations mecs-nanas qu’ont deux cents fois épuisées les rédactrices de Cosmo, ELLE, BiBa et toute la presse féminine. Historiettes que des humoristes paresseuses nous resservent à l’envi comme on resservirait le soir du 2 janvier les reliefs d’un repas de fête entamé l’avant-veille. Du réchauffé, de l’insipide qu’on croyait définitivement enterré avec l’année trépassée. La Bajon évite cet écueil (même si elle parle des hommes) et préfère travailler sur des matières et des sujets plus sensibles: le chômage, l’adoption auprès de la DDASS, entre autres. Deux sketches fondateurs qui lui ont fait décrocher un contrat au Paname, un autre au Point Virgule, il y a un an. Des chroniques sur l’antenne du Mouv’, l’été dernier. Et enfin la première partie de Jérôme Daran à Bobino, en décembre 2011.

«Jai 33 ans, je me lance tard, ce qui me permet de porter  un regard sur la vie, les choses, analyse La Bajon. Je ne veux pas écrire un énième sketch sur Facebook. Beaucoup le font mais je ne vois pas ce que je vais apporter après ce qu’a fait Jérôme Commandeur qui  reste un modèle du genre». Avis partagé par Martin Darondeau, 26 ans, l’un de ses auteurs rencontré dix plus tôt alors qu’ils interprétaient L’Atelier de Jean-Claude Grimberg, au Théâtre du Gymnase. «Je n’ai pas envie d’écrire sur les portables, Facebook et Mc Do, ça m’insupporte ! confirme  le co-auteur. Sauf si c’est pour dénoncer quelque chose. On préfère écrire sur des choses moins convenues, travailler des angles précis. Je sais que sur certains textes on peut aller plus loin et être encore plus pêchus!». On n’ose lui demander s’il pense au personnage de “Brigitte, pro de la partouze” qui organise ses parties fines comme Aimé Jacquet règlait un match de foot. On ne vous dira pas non plus ce qu’est, selon Brigitte, un 4-3-9… C’est drôle, direct, c’est du La Bajon.«J’aime l’absurde et la grossièreté, commente celle qui porte ces textes. Ça parle de moi et c’est autobiographique, sauf le passage sur la partouze, bien sûr !». Ce qu’on retiendra surtout c’est qu’elle parle de l’époque. Qu’elle passe par Dieu, la pauvreté ou ses origines, La Bajon fait dans le contemporain et c’est ce qui plaît aux spectateurs venus l’applaudir ce soir-là. 

La Bajon réussit à faire rire avec le chômage

La… Bajon, c’est son nom sans l’être. C’était son surnom à l’école puisqu’elle s’appelle d’abord Bajon comme ses parents. Et qu’on l’a affublée de l’article qu’on accole aux grandes : La Callas ou La Pietra(galla), par exemple. Une sorte de particule nobiliaire pour ces femmes qui en ont (de la personnalité, de l’aura, du bagout, de l’aplomb et du talent…). «Mes copines m’appelaient comme ça et je l’ai repris pour la scène. Du fait de mon histoire, j’ai plusieurs prénoms : Anne-Sophie, Souad…La Bajon réunit toutes ces identités. Alors, il y en a qui pensent que c’est prétentieux, mais j’assume». Son histoire personnelle donne matière à une partie de son show : ses parents français souhaitaient accueillir “deux petits maghrébins”, ils ont adopté La Bajon et son frère. De cette prénomination de Souad à la naissance qui devient Anne-Sophie à l’adoption ou peut-être le contraire, elle a tricoté un sketch où elle parle de la DDASS sans méchanceté mais sans complaisance ni misérabilisme. «Mon spectacle les a touchés, raconte-t-elle en évoquant l’administration, et ils comprennent parfaitement que j’aie eu besoin d’en parler. Ce sketch est aussi un hommage à mes parents adoptifs».

Son père est  ingénieur dans le domaine de l’aérospatiale, sa mère infirmière anesthésiste. Des parents aimants et attentionnés qui procurent à La Bajon et son frère «une enfance heureuse dans un petit pavillon, proche de la forêt, à Yerres dans l’Essonne». Qui la laissent également entretenir dès l’âge de 15 ans ses rêves de comédie. L’ado fait partie d’une troupe de théâtre et cinq ans plus tard, elle étudiera au Cours Simon, pendant trois ans. La suite? La même que pour des millions d’aspirants : castings, petits boulots et grosse déception. «J’ai eu un grand moment de vide parce qu’en tant que comédienne, je n’arrivais pas à me réaliser. Je courais de casting en casting, je n’étais jamais prise. Un jour, j’ai posté des chroniques sur le web qui s’appelaient Souad TV et Souad fait le bilan. Les retours étaient bons, notamment ceux de Chantal Lauby et Dominique Farrugia qui m’ont dit que c’était super». Reboostée, La Bajon décide de vivre son rêve de comédienne. Elle plaque son boulot après une énième altercation avec sa supérieure hiérarchique: «J’étais assistante polyvalente c’est-à-dire que j’étais capable de discuter avec ma chef tout en renouvelant mon statut sur FaceBook. Je ne suis pas faite pour travailler en entreprise».

La Bajon sait pourtant bosser en équipe comme le prouve sa collaboration efficace avec Martin Darondeau et Caroline Cichoz, tous deux comédiens devenus des amis. «On a le même humour, explique Martin Darondeau, par ailleurs réalisateur de ses videos pour le Net, et j’adore raconter des histoires. La Bajon apporte la matière première que je vais ensuite “tuner”». Du sur-mesure pour la comédienne qui ne craint pas les critiques de ses complices: «Les sketches sur la DDASS ou le bordel, c’est vraiment moi, ensuite Martin et Caroline m’aident à structurer mes idées, à en développer d’autres. A censurer les trucs pas drôles qu’on laisserait passer si on était seule. C’est indispensable d’être entouré».

La Bajon fait sourire avec Dieu

L’entourage ou LE détail qui fait la différence comme j’ai pu le noter en assistant aux Auditions du Théâtre du Bout, samedi dernier. Des artistes de talent se sabordent à force de n’écouter qu’une seule voix : la leur. La Bajon, elle, travaille autrement, teste régulièrement de nouvelles répliques sans pour autant être esclave des rires. «J’essaie d’être fidèle à mon texte et de ne pas le changer en fonction du public. Face à un bon public, le danger c’est de cabotiner, et de se déliquéfier s’il est froid. J’essaie d’aller jusqu’au bout de mon sketch».

Pour travailler comme ça, ils ont avalé au préalable des nourritures solides. Elle écoute Bowie et Les Beatles (même si elle  préfère travailler dans le silence), lit Stendhal et Belle du Seigneur, admire le jeu de Suzy Delair, Arletty et Jouvet. Et bien sûr, Palmade, Foresti... et tous les humoristes cités précédemment. Il est fan de Dieudonné, Seinfeld, de séries américaines, de Kassovitz et Gondry; et  place Colères le spectacle de François Rollin au-dessus de tout. Ensemble, ils sont parvenus à nouer les fils d’une histoire insolente et savoureuse. A l’arrivée, cela donne une écriture précise, relevée, audacieuse qui jamais ne cède à la facilité. Et même les passages les plus osés (La Bajon confie être “plus vaginale que nasale”) ne déroutent pas son auteur vers les sentiers de la vulgarité.

Au-delà du texte, La Bajon s’est inventé un look qui est désormais sa signature : la paire de bretelles qu’elle attache à tous ses pantalons même et surtout s’ils n’en ont pas besoin comme son pyjama rouge et blanc ou son jean slim. Comme tous les grands de la scène, elle a crée une gestuelle bien à elle. Chacun appréciera la façon dont elle se sèche après la douche, sans serviette de bain. Si la salle était comblée samedi soir, au double sens du terme, La Bajon étonne encore ses parents au point de les choquer. Et de se faire remonter les bretelles : «Ils m’ont dit que j’étais vulgaire. Ils ont trouvé que j’avais un potentiel de comédienne hallucinant mais ils ont peur que je dépasse les bornes». Tandis qu’elle livre cette confidence un rien émue, Martin , fidèle ami, tempère : «Tu sais, Gainsbourg a dit à France Gall: si vos parents aiment ce que vous faites, c’est que vous faites de la merde!». La voilà rassurée. Elle remercie Martin et Serge. Vulgaire La Bajon ? Encore faut-il savoir à quels (h)auteurs se dessine la limite du bon et du mauvais goût. «Pour ma mère, Coluche était extrêmement vulgaire ! Mes parents adoraient Le Luron et Desproges. Je suis désolée, je ne peux pas avoir la plume de Desproges ! Mon père,lui, adore Benny Hill». La Bajon vulgaire comme Coluche ? C’est tout le bien qu’on lui souhaite ! Mais c’est peut-être juste une question de bretelles.

La Bajon, le samedi à 19h à La Cible, Paris.

Où l’applaudir : One-woman-show «Ça va piquer !» mis en scène par Caroline Cichoz et Martin Darondeau, tous les samedis de février et mars à 19h au Théâtre La Cible(Paris). Le 29 février avec les Jam’Elles au Jamel Comedy Club(Paris). Le 20 mars au Festival Rire avec Elles au Théâtre Le Ranelagh(Paris)

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